L'effet Dunning-Kruger en équitation : entre ignorance et sagesse équestre
L’éthologie humaine, tout comme celle du cheval, regorge de subtilités fascinantes, mais peu d’entre elles sont aussi piquantes et déroutantes que l’effet Dunning-Kruger. Ce paradoxe psychologique, formulé par les chercheurs David Dunning et Justin Kruger en 1999, révèle une vérité universelle qui s’applique aussi bien à la société qu’au monde équestre : ceux qui en savent le moins ont souvent la plus grande confiance en eux-mêmes, tandis que ceux qui ont atteint un véritable savoir doutent fréquemment de leurs capacités.
L’équitation, cet art autant qu’une science, est un terrain fertile où cette dynamique se déploie à merveille. Là où le cheval exige patience, humilité et apprentissage perpétuel, l’ignorance et l’arrogance viennent souvent galoper en tandem, transformant les carrières en véritables scènes de théâtre de l’effet Dunning-Kruger.
Quiconque a observé un cavalier novice comprendre la mécanique de la mise en selle, du contact ou des aides sait à quel point le premier sentiment de contrôle peut être grisant. Ce moment d’exaltation, où l’on croit dominer une créature si noble et puissante, est pourtant souvent l’illusion d’une maîtrise qui n’existe pas encore.
Comme l’a formulé Darwin : « L’ignorance produit plus souvent la confiance que la connaissance. » Ces cavaliers, ayant à peine effleuré la surface de l’art équestre, se sentent souvent suffisamment compétents pour donner des conseils, critiquer ou se proclamer experts.
Cette surconfiance peut se manifester de manière spectaculaire :
• L’idée que forcer l’obéissance mène à une meilleure relation.
• La croyance que des gadgets et enrênements remplacent la patience et la technique.
• La certitude qu’une pirouette mal préparée ou un piaffe saccadé, obtenu par contrainte, est un signe de talent.
Mais le cheval, ce maître sans parole, ne tarde jamais à démontrer la futilité de cette arrogance. Une nuque contractée, une allure précipitée, une résistance à la jambe ou à la main : autant de réponses subtiles que le cavalier inexpérimenté interprète comme des caprices au lieu de leçons.
À l’opposé, ceux qui ont passé une vie à étudier le cheval et son langage développent un respect profond pour la complexité de cet art. Ils savent qu’aucune discipline, qu’il s’agisse du dressage, du saut ou de l’équitation de loisir, ne se maîtrise pleinement.
Comme le disait Bertrand Russell : « Ceux qui possèdent une imagination et une compréhension sont pleins de doute et d’indécision. »
Pour ces cavaliers avertis, un simple trot allongé parfaitement équilibré est une victoire. Une légère flexion à l’épaule en dedans représente une conversation réussie et un cheval qui offre librement son impulsion est un miracle de confiance partagée.
Mais ces succès naissent d’années d’efforts, d’erreurs et de remises en question. L’humilité devient le guide du véritable savoir équestre, car le cheval, en tant qu’être sensible, nous enseigne à chaque instant la fragilité de nos certitudes.
Le problème, cependant, n’est pas simplement la fausse confiance du novice, mais les conséquences que cela peut engendrer :
L’ignorance confiante peut mener à des blessures physiques ou psychologiques. Le cheval devient une victime silencieuse, contraint d’exécuter des mouvements ou de supporter des charges inappropriées.
Cette illusion de compétence empêche l’apprentissage. Lorsque l’arrogance bloque la remise en question, la progression devient impossible.
Les pratiques médiocres, voire nuisibles, se perpétuent, alimentant un cercle vicieux où les méthodes inadaptées passent pour des standards.
Dans son livre L’Équitation mondiale et nous, Erich Glahn décrivait déjà, en 1957, le risque de s’éloigner des principes classiques au profit de techniques superficielles. Il évoquait des cavaliers incapables de percevoir leurs erreurs, mais convaincus de leur supériorité. Ce qu’il préconisait alors est toujours d’actualité : le retour à l’observation, à l’écoute et à l’apprentissage sans fin.
Pour dépasser cet effet, nous devons accepter l’inconfort de ne pas savoir car reconnaître nos lacunes est le premier pas vers la compétence. Puis nous ouvrir aux critiques constructives car travailler avec des enseignants ou des pairs honnêtes et bienveillants permet de progresser réellement.
Et surtout observer le cheval car ses réponses sont le miroir de nos actions. Écoutons-le.
L’effet Dunning-Kruger, s’il nous rappelle les pièges de l’ignorance confiante, nous offre aussi une leçon universelle. L’équitation est une danse entre deux âmes, un dialogue silencieux où chaque mot compte.
Être cavalier, c’est accepter d’être un élève éternel, prêt à écouter le cheval et à reconnaître que, dans cet art, le savoir absolu n’existe pas.
Alors, que nous soyons novices ou experts, souvenons-nous que la véritable maîtrise commence là où finit l’arrogance et que le chemin équestre n’est jamais terminé. Car le cheval, dans sa noblesse silencieuse, est toujours prêt à nous enseigner, à condition que nous soyons assez sages pour l’écouter.
Comprenne qui pourra.
Francis Stuck
Excellent!!!