top of page

La difficulté d’abandonner le paradigme équestre

Depuis des millénaires, l’équitation s’est ancrée dans un paradigme fondé sur des notions de domination, de soumission et d’exploitation utilitaire. Si des écuyers éclairés, de Xénophon à Nuno Oliveira, ont tenté d’élever cet art vers une relation plus subtile, les traditions restent souvent prisonnières d’habitudes solidement établies. Aujourd’hui, les avancées des neurosciences, des sciences de l’intelligence animale et de la zoosémiotique nous obligent à reconsidérer ces fondements, non pas pour rejeter les héritages du passé, mais pour les transcender.

Toute transformation profonde rencontre des résistances : celles des habitudes, de la zone de confort, de la quête de résultats immédiats. Le cavalier, pris dans un schéma mental forgé par l’histoire et l’impatience de notre époque, peine à s’ouvrir à des réalités nouvelles, pourtant scientifiquement démontrées.

Schoppenhauer disait que chaque vérité passe par 3 étapes :

• Elle est d'abord niée voire ridiculisée

• Elle est ensuite férocement combattue

• Elle devient une évidence pour tout le monde


Le paradigme équestre n'échappe malheureusement pas à ce modèle tragique de pensée.

Les habitudes sont confortables car elles rassurent. Comme l’écrit Pierre Bourdieu dans La Distinction (1979), le comportement est façonné par des structures sociales et mentales. En équitation, ces habitudes s’expriment par des gestes techniques transmis de génération en génération, souvent sans remise en question ni par les transmetteurs, ni par les récipiendaires.

La regrettée Sue Oliveira disait : " La plupart des enseignants sont incapables d'expliquer pourquoi ils font adopter telle ou telle attitude aux chevaux. Ils ne font que perpétuer ce qu'ils ont appris, sans se poser de questions."

Il est tellement plus confortable de maintenir l’ancienne manière par l’usage des enrênements, des aides coercitives ou des méthodes forcées.

Il est difficile de quitter sa zone de confort car l'ouverture des portes à un nouveau paradigme induit une réflexion sur ses propres pratiques et une vulnérabilité face à l’inconnu.

Pour ces raisons, de nombreux cavaliers s’accrochent à des aides artificielles (mors sévères, enrênements) car ils répondent à une logique de contrôle immédiat, alors qu’une approche basée sur la confiance nécessite patience et humilité.

Comme le rappelle Thomas S. Kuhn dans La Structure des révolutions scientifiques (1962), toute évolution repose sur la destruction des anciens paradigmes. Cette remise en question peut être douloureuse pour le cavalier :

Il est difficile de reconnaître ses erreurs et d'bandonner l’idée de toute-puissance face au cheval demande une humilité rare.

Il est encore plus difficile de prendre conscience des souffrances que l'on inflige aux chevaux en toute bonne foi car on a suivi les préceptes de personnes considérées comme des référents et qui ne sont en réalité que des maillons d'une chaine de transmission erronée.

La quête de résultat induit la difficulté de sortir d’une relation unilatérale. Car le paradigme équestre repose sur une communication descendante où le cheval “obéit”. Reconnaître son intelligence exige un dialogue où le cavalier “écoute” à son tour.

Apprendre à "parler cheval" nécessite du temps et de la patience. L'immédiateté des résultats produits par la soumission exacerbe l'égo et le sentiment de domination face à un animal infiniment plus puissant en force brute que les humains. Pourtant, l'apprentissage de la zoosémiotique, introduite par Thomas Sebeok, nous apprend que le cheval s’exprime par des signaux corporels, émotionnels et vibratoires. Et les préceptes scientifiques sont laissés sur une autre rive réservée à des intellectuels considérés comme déconnectés de la réalité ou pour d'autres encore, discrédités et ridiculisés. Ils donnent ainsi raison à Schoppenhauer.

Le monde contemporain valorise l’instantanéité. Cette mentalité s’étend à l’équitation, où la performance est recherchée au détriment de la construction de la relation.

Sous la pression du résultat, dans la compétition, les cavaliers privilégient l’apparence (postures forcées, mouvements spectaculaires) au bien-être de l’animal.

Dans le diktat de la consommation de l'activité équestre, les chevaux sont “cassés” mentalement et physiquement pour donner quelques minutes de plaisir.

Nuno Oliveira disait :

“L’art ne se presse pas. Il se polie, il s’affine dans la patience et l’amour du cheval.”


Aujourd’hui, les sciences offrent des repères solides pour dépasser l’ancien paradigme.

En neurosciences et en science de l'intelligence et de la cognition animale, des chercheurs comme le Pr Matsuzawa, Carolyn Resnick ou Jaak Panksepp ont démontré que le cheval possède une intelligence émotionnelle fine et des capacités cognitives avérées.

La zoosémiotique étudie comment les chevaux communiquent avec leur environnement. Comprendre ce langage ouvre ainsi les portes à une communication subtile et réciproque.

En intégrant la biomécanique, comme décrite par Jean-Marie Denoix, nous apprend que forcer le cheval dans des postures contraires à sa nature est contre-productif.

Celle-ci reste malheureusement bien souvent dans une interprétation Cartésienne faisant abstraction de l'intelligence et de la sensibilité animale. Dans la pratique, le cheval continue malheureusement à être considéré comme une machine biologique dénuée d'âme et de conscience.

L’Équitation de Tradition Française, inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO, repose sur l’art de la légèreté et de l’harmonie. Les maîtres comme La Guérinière et Baucher cherchaient déjà à éduquer le cheval par le respect et l’équilibre.

En unifiant la tradition et la science, nous scellons le mariage des connaissances anciennes et des sciences modernes afin de permettre l'avènement d'une équitation plus consciente.

La Guérinière disait : “Un cavalier doit agir sans brutalité et en finesse. L’art réside dans la modération des aides.”

Dans une lecture alchimique, l'abandon du paradigme traditionnel équestre représente l’œuvre au noir. Car il induit la déconstruction des certitudes quant aux méthodes et actions individuelles..

L’œuvre au blanc survient lorsque le cavalier adopte une approche fondée sur l’intelligence du cheval et la communication subtile.

L’œuvre au rouge incarne la symbiose parfaite entre l’homme et l’animal, où les deux êtres évoluent dans un équilibre harmonieux.

Le feu de la transformation évoqué par l’acronyme INRI (Ignis Natura Renovatur Integra) symbolise cette quête d’un renouvellement intérieur par le respect du vivant.

La relation homme-cheval devient alors une voie d’éveil. Le cheval, miroir de nos émotions, nous invite à cultiver des vertus telles que la patience en renonçant à l’immédiateté pour construire dans la durée.

L’humilité induit la reconnaissance du cheval comme un partenaire et non un instrument.

De fait, la conscience s'ouvre et se reconnecte à l’instant présent.

Montaigne disait : “Nous avons tort de penser que les bêtes sont dépourvues de raison ; elles ont une autre forme d’intelligence.”


Abandonner l’ancien paradigme équestre apparait comme une épreuve, mais aussi une chance. C’est un chemin exigeant où l’on doit déconstruire ses certitudes, apprendre à écouter humblement le cheval et intégrer des connaissances nouvelles. Les sciences modernes et l’héritage de l’Équitation de Tradition Française nous offrent aujourd’hui les clefs pour unifier la tradition et la modernité.

Force est de constater que ni la tradition, ni les sciences modernes trouvent écho dans l'interprétation pratique du paradigme équestre.

Rares sont les chevaux qui piaffent, qui passagent ou qui changent de pied au temps au galop et rares sont les chevaux qui bénéficient d'une approche scientifiquement cognitive.

Pour se donner bonne conscience, le paradigme encense des principes éthologiques qui édulcorent des principes désormais dépassés.

Rappelons que l'éthologie est à l'équitation ce que la sociologie est aux humains. Or en montant à cheval, nous nous adressons à une individualité animale intelligente.

Si les règles éthologiques s'avèrent importantes pour la compréhension des attitudes collectives, l'intelligence individuelle reste au coeur de la relation équestre.

En ce sens, tout comme nous, chaque cheval doit être appréhendé et respecté dans ses spécificités et particularités individuelles.

A ces conditions seulement se dessine une équitation transcendée, où la relation avec le cheval devient un dialogue respectueux et éclairé, un chemin où l’intelligence et la sensibilité remplacent la force et la domination.

Comme le dit si bien Nuno Oliveira : “La véritable équitation ne force pas. Elle invite le cheval à se révéler.”

Puissions-nous devenir des cavaliers éclairés, artisans d’une relation sublimée, où chaque pas se révèle comme un hommage à la beauté et à l’intelligence du cheval.

Comprenne qui pourra.


Francis Stuck




1件のコメント

5つ星のうち0と評価されています。
まだ評価がありません

評価を追加
ゲスト
2024年12月18日
5つ星のうち5と評価されています。

Voilà tout est dit dans ce texte manifeste. Aujourd'hui des jeunes passionnés de chevaux ont cette grande conscience et cette responsabilité de voir en chaque cheval un être unique. Bottants les préceptes dominateurs et les œillères séculaires des aînés aveuglés par leur ignorance du vivant et du subtil. Merci pour cette analyse fine, pointue, révélatrice. Comprenne qui pourra la profondeur de ces mots.

いいね!
Posts à l'affiche
Posts Récents
Archives
Rechercher par Tags
Retrouvez-nous
  • Facebook Basic Square
  • Twitter Basic Square
  • Google+ Basic Square
bottom of page