La libération des énergies captives : le préalable indispensable à l’équitation
Trop souvent, les cavaliers abordent le travail du cheval comme s’il s’agissait d’une machine complexe à assembler. Certains se concentrent sur l’impulsion, d’autres sur la rectitude, ou encore sur l’extension d’encolure pour “détendre” le dos. Mais ces approches mécaniques ignorent une vérité fondamentale : le cheval n’est pas un simple automate. C’est un être vivant, doté d’une conscience, qui perçoit et réagit aux événements de son environnement à travers un prisme d’émotions positives ou négatives.
Comme tous les mammifères, le cheval possède un système nerveux autonome. Ce système gère, entre autres, la réponse aux stimuli émotionnels, qu’ils soient stressants ou apaisants. Les petites tensions quotidiennes liées au confinement, aux interactions sociales, aux bruits soudains, s’accumulent en lui comme autant d’énergies captives. Si elles ne sont pas libérées, ces énergies peuvent provoquer des tensions musculaires, des comportements défensifs ou des troubles plus profonds.
Le psychologue américain Peter A. Levine, dans son ouvrage "Réveiller le Tigre", explore ces dynamiques émotionnelles et leur impact sur les êtres vivants. Il explique comment les mammifères, soumis à des stress intenses, peuvent retenir ces énergies si elles ne sont pas évacuées correctement, conduisant à un cycle de tensions répétées et à des remises en actes.
Pour mieux comprendre, regardons le zèbre dans la savane. Lorsqu’il perçoit une menace, comme des lionnes qui approchent, son corps produit une décharge massive d’adrénaline, lui donnant l’énergie nécessaire pour fuir à pleine vitesse. Ce galop effréné consomme et consomme intégralement les énergies produisent par la charge émotionnelle créée par la peur. Une fois le danger écarté, le zèbre revient à un état de calme et broute paisiblement. Sa conscience exempte de spéculation mentale lui permet de revenir à sa sérénité originelle sans ressasser inlassablement l’épisode traumatique.
Le cheval, en tant que cousin du zèbre, partage cette dynamique biologique. Mais dans un cadre domestique, les contraintes de l’enfermement et l’absence de mouvements libres empêchent souvent cette libération naturelle des tensions.
Quand un cheval sort de l’écurie pour une séance, il porte en lui les énergies accumulées, qu’il s’agisse de frustrations liées à son confinement ou de stress latent. Avant toute chose, le cavalier doit donc offrir à son cheval la possibilité de se libérer. Cela peut prendre la forme de galops libres ou à la longe, de sauts dans les airs, de coups de cul ou d’autres comportements naturels qui permettent d’évacuer ces énergies. Ce moment de libération est bien plus qu’une “mise en jambes” : c’est une mise en état psychologique et émotionnelle indispensable.
Cette libération de tensions prépare le cheval à écouter, à se concentrer, et à interagir de manière authentique avec son cavalier. Sans cela, toute tentative de travail risque de se heurter à des blocages issus d’émotions refoulées.
L’équitation moderne a souvent relégué le cheval à un simple rôle de partenaire biomécanique, oubliant que son esprit est un élément central de la relation. Mais un cheval heureux et émotionnellement libéré est infiniment plus disponible pour travailler, apprendre et performer.
Cela nécessite une approche holistique :
1. Apprendre à observer l’état émotionnel du cheval et reconnaître les signes de stress ou de tension.
2. Créer un moment de libération en lui permettant de s’exprimer librement dans un espace sécurisé.
3. Éviter les matériels coercitifs comme les muserolles trop serrées, les noce-band, les enrênements de toute sorte ou tout équipement créant un inconfort empêchent la véritable libération émotionnelle.
4. Privilégier une approche empathique en apprenant à écouter le langage corporel du cheval et à reconnaître ses besoins en adaptant le travail en conséquence.
Le zèbre qui retrouve sa sérénité après une fuite nous enseigne l’importance de brûler les énergies négatives avant qu’elles ne deviennent des tensions chroniques. En tant que cavaliers, nous devons intégrer cette leçon et reconnaître que le véritable travail commence par la libération émotionnelle.
Cela dépasse les simples exercices biomécaniques. C’est une invitation à renouer avec l’essence même de l’équitation : un dialogue respectueux entre deux êtres sensibles. En libérant le cheval, en respectant sa nature émotionnelle, nous lui permettons d’exprimer son plein potentiel, non seulement comme athlète, mais aussi comme partenaire de cœur et d’esprit.
Ainsi, l’équitation devient plus qu’un art ou une discipline : elle se transforme en une expérience partagée de liberté, de sérénité et d’harmonie.
Comprenne qui pourra.
Francis Stuck
Photo : www.pourlascience.fr
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