Le langage binaire en équitation
L’équitation repose sur une relation singulière entre l’homme et l’animal, une communion fondée sur un langage universel mais méconnu, le langage binaire. Il s'articule autour du schéma simpliste du « oui » et du « non ». Pourtant, comme dans toute forme de communication, une infinité de nuances s’immisce entre ces deux signes opposés. Le langage binaire en équitation, bien qu’apparemment simple, est en réalité un art complexe, qui s’apprend lentement, méthodiquement et toujours dans le respect du cheval.
Avant de monter en selle, l’apprentissage de ce langage débute au sol par le travail à pied. Les gestes et signaux, d’une extrême simplicité, permettent alors de poser les bases de la communication avec le cheval.
La badine en contact sur la croupe ou sur l'encolure signifie "non" ou "arrêt". La badine détachée signifie "oui" ou "mouvement". Chaque interaction repose sur la clarté et la cohérence : un geste précis, une réponse attendue. Pour un cheval attentif, chaque geste devient une phrase dans une conversation silencieuse. D'ou l'importance de ce travail au sol qui permet de poser le préalable à cet alphabet et à cette grammaire en faisant abstraction du problème de la gestion de l'équilibre du cavalier en selle aux différentes allures.
L’objectif étant de créer une base de confiance et de compréhension mutuelle, où chaque « oui » et chaque « non » trouvent leur place dans un dialogue respectueux et clair.
Une fois à cheval, le langage binaire se poursuit, mais il s'adapte au travail monté. Le cavalier doit alors apprendre ce qui est sans doute le plus difficile pour l’humain : ne rien faire. Trop souvent, le cavalier cherche à contrôler exclusivement par des moyens matériels, en tirant sur les rênes de droite, de gauche ou les deux ensemble comme si le cheval était une bicyclette au détriment de la légèreté et de la finesse. Or, la véritable communication se fait par le silence des gestes inutiles, dans une économie de moyens qui laisse place à une compréhension mutuelle.
Comme un écolier apprenant une langue étrangère, le cavalier s’initie à ce langage par un apprentissage sémiotique, un langage fait de signes, aussi infimes que précis. Un mouvement subtil des genoux entrainant une pression légère ou une relaxation des mollets, une simple inclination des épaules suffisent à transmettre une demande. Ce langage doit être appris patiemment, car la clé réside dans la coordination motrice et la finesse des aides. Nous devons ainsi apprendre à notre corps et à nos membres à chuchoter.
Cela débute par la position du cavalier en selle. Il doit s’asseoir sur son périnée, le dos droit et le nombril légèrement en avant. Cette position garantit une connexion harmonieuse avec le cheval et une stabilité en selle. Rappelons que le cavalier doit être assis dans la selle et non "sur" la selle. Il doit faire corps avec le cheval.
A l'arrêt, les genoux sont fermés, liés délicatement et le bas des jambes souples.
Les mains tiennent les rênes sans tension, ajustées mais fixes, transmettant des indications claires sans jamais tirer vers l’arrière.
La maîtrise de cette posture est essentielle pour éviter toute confusion dans les signaux. Elle garantit que chaque mouvement du cavalier, aussi infime soit-il, sera perçu comme une demande, et non comme une gêne.
On peut "exercer" cette posture chez soi en pratiquant l'exercice de l'écuyer. Cet exercice issu du Taï Chi permet de l'imprimer dans la mémoire des attitudes et des postures corporelles.
Entrons ensuite en mouvement.
Pour avancer, le cavalier ouvre légèrement les genoux, créant une infime pression des mollets. Le cheval, sensible à ce signal, comprend la demande de mouvement. Rappelons que les chevaux perçoivent une mouche posée sur leur croupe. On parle souvent de la finesse des chevaux. Il serait plus pertinent de parler de la délicatesse du cavalier.
Après deux ou trois foulées, on arrête le mouvement. Les genoux se referment, les épaules du cavalier reculent légèrement. Si le cheval ne s’arrête pas, une légère action verticale des rênes ajuste la demande. Rappelons que l'on ne tire jamais sur les rênes. Car toute action d'inconfort ou de douleur exacerbe instantanément l'instinct de fuite et le cavalier perd son statut de référent.
Progressivement, le nombre de foulées augmente et l’exercice intègre le mouvement de reculer.
Ces gestes, simples en apparence, exigent une coordination motrice parfaite, sans doute la principale difficulté des cavaliers ainsi qu'une attention constante. Généralement, le cheval assimile rapidement ce langage, très souvent plus vite que le cavalier. La difficulté pour l’humain réside dans l’apprentissage progressif de la fluidité et de la précision, comme un écolier qui passe des lettres aux mots puis aux phrases.
Une fois les bases acquises, le langage s’enrichit par l’introduction de transitions d’allures, de mouvements latéraux, d’incurvations et d’autres exercices. Ces éléments constituent la grammaire avancée de l’équitation, permettant au cavalier de s’élever progressivement vers la Basse-École, puis la Haute-École. Le principe reste toujours le même : chercher la précision dans une action ludique.
Chaque séquence doit cependant être courte, ne durant que quelques minutes pour éviter de lasser le cheval. Les répétitions excessives demeurent contre-productives tant au niveau physique que cognitif.
Il reste essentiel de respecter un temps de « maturation » des enseignements. Tout comme un élève ne peut apprendre une leçon complexe en une seule fois, le cheval a besoin de temps de repos pour assimiler ce qu’il a appris.
Les séances doivent se suivre sans se ressembler. A défaut, nous découvrons les extraordinaires capacités d'analyse et de mémorisation du cheval qui va commencer à anticiper les demandes, puis à s'ennuyer.
De fait, l’équitation, si elle doit être rigoureuse, ne doit jamais être répétitive ou ennuyeuse. Les longues sessions monotones comme des exercices de trot enlevés le nez dans la sciure, sont contre-productives, tant sur le plan physique que cognitif. Le cheval, comme l’humain, apprend mieux dans un contexte ludique, où chaque demande devient une exploration plutôt qu’une contrainte.
Le langage binaire en équitation représente bien plus qu’un simple code ; il incarne une philosophie de la relation entre l’homme et l’animal. Il repose sur le respect, la patience et une volonté partagée de progresser ensemble. En apprenant à écouter et à répondre avec subtilité, le cavalier et le cheval tissent une symbiose où chaque « oui » et chaque « non » devient la pierre angulaire d’une communication parfaite.
Comprenne qui pourra.
Francis Stuck
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