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Les différences entre le langage équestre de l’équitation de tradition et le langage binaire cognitif

L’art équestre, tel qu’il a été transmis à travers les siècles, repose sur des codes complexes mêlant tradition, intuition et observation. L’équitation de tradition, qui puise ses racines dans les grandes écoles européennes du XVIIᵉ au XIXᵉ siècle, s’appuie sur un langage riche mais parfois hermétique, hérité des grands maîtres comme La Guérinière, François Baucher, Steinbrecht ou Nuno Oliveira pour ne citer qu'eux. Ce langage repose sur une sensibilité raffinée du cavalier et une éducation progressive du cheval, dans une vision respectueuse mais unilatérale par une démarche basée sur la soumission de l'animal.

A l'image de Descartes, le cheval reste alors considéré comme un automate biologique, c’est-à-dire une machine dépourvues de pensée, d’âme et de conscience.

Ainsi, pour ce philosophe majeur qui a fondamentalement influencé la pensée humaine, sociétale et civilisationnelle, si un cheval semble exprimer des émotions ou répondre intelligemment aux ordres, ce n’est qu’une illusion. Il réagit mécaniquement aux stimuli, sans pensée ni compréhension. Dès lors, les chevaux furent considérés comme des mécanismes complexes régis uniquement par des lois physiques et biologiques. Leur comportement apparent ne traduit donc pas de volonté ou d'intention consciente mais résulte de processus mécaniques, comparables au fonctionnement d’une horloge ou d’une machine.

D'où un principe de communication unilatéral plus ou moins délicat et respectueux au gré du niveau de conscience, de connaissances et d'expériences des cavaliers et des écuyers.

À l’opposé, le langage binaire issu des neurosciences, des sciences de l'intelligence animale, des sciences du langage interespèce et de la zoosémiotique propose une approche méthodique basée sur des signaux clairs et décomposés qui font appel aux capacités cognitives des chevaux. L'animal est alors considéré comme un Être doté d'une conscience, d'une intelligence, de capacités cognitives et de sensibilité.

Loin de s’opposer, ces deux approches se complètent en réalité dans une quête commune : établir une relation harmonieuse et respectueuse avec le cheval.

L’équitation de tradition repose sur des principes issus des siècles d’observation et de pratique. Les écuyers de l’époque classique cherchaient à transcender la simple utilité du cheval pour atteindre un art de haute école. Les maîtres de tradition, comme François Baucher dans Méthode d’équitation basée sur de nouveaux principes (1842), insistent sur l’importance de la légèreté, obtenue par une éducation progressive et des ajustements subtils. Chaque aide, qu’elle soit manuelle, de jambe ou de poids du corps, représente une invitation au cheval et non une contrainte. Cette méthode exige une sensibilité extrême du cavalier et un long apprentissage. L’objectif de cette approche consiste à transformer chaque interaction en une action efficace voire en une danse harmonieuse. Le cheval devient alors une extension du corps et de l’esprit du cavalier. Cependant, cette quête de perfection est parfois critiquée pour sa difficulté d’accès, notamment pour les cavaliers novices.

Le langage binaire s'appréhende telle une langue étrangère. Il s'articule autour de signaux simples, décomposés comme un alphabet qui s'assemble pour former des mots et des phrase enseignés à un cheval libéré de toute contrainte d'inconfort matériel.

Il repose sur deux principes fondamentaux cognitifs : une demande courte, simple et claire validée par le cavalier par un geste (check) issu des boutons de langage des chevaux au sein du troupeau.

Nous apprenons ainsi au cheval à utiliser son intelligence en sollicitant son attention par des demandes à portées cognitives.

Par exemple, à l'arrêt les genoux du cavalier sont fermés. Pour avancer au pas, il ouvre très légèrement les genoux. Le contact minime que cela induit au niveau des mollets suffit à demander au cheval d'avancer.

Dès que le cheval a effectué deux ou trois pas, nous nous arrêtons en fermant les genoux.

Langage binaire : genoux fermés = arrêt et genoux ouverts = mouvement.

Rappelons que le cheval perçoit une mouche qui se pose sur sa croupe.

Si le cheval ne comprend pas immédiatement, une petite touche de la pointe de la badine derrière la botte signifiera : "Ecoute-moi, je te parle."

Un check de validation à droite ou à gauche du garrot viendra confirmer la bonne exécution de l'exercice.

Puis on recommence l'exercice comme pour en enfant à qui on apprend à écrire une lettre, puis une syllabe puis un mot.

La main ne va pas au contact en tirant sur la bouche. Elle tient des rênes légèrement ajustées par le seul poids du cuir.

L'action initiale des mains qui accompagnent l'arrêt doit toujours être verticale, de manière imagée un peu comme si on dressait un mur pour arrêter le mouvement.

Là encore, le plus difficile consiste pour le cavalier d'associer l'action minime des genoux avec l'action subtile des mains. Cela nécessite un apprentissage de la coordination motrice qui se travaille à l'arrêt.

Une fois le principe acquis, quand le cheval s'arrête uniquement par l'ouverture et la fermeture des genoux, au bout de quelques répétitions, on augmente le nombre foulées entre l'arrêt et le mouvement.

On découvre alors avec surprise que les chevaux apprennent vite et qu'ils aiment apprendre. Puis on enrichit l'information en la complétant.

Peu à peu on introduit ensuite d'autres éléments liés aux autres allures, aux mouvements latéraux, aux incurvations.

Les chevaux comprennent très vite et montrent une réelle motivation pour apprendre à condition qu'ils ne ressentent pas d'inconfort provenant d'un matériel coercitif ou qui le devient par des actions maladroites du cavalier.

Chaque commande doit être réduite à son expression la plus simple, afin d'éviter les confusions et les ambiguïtés. Ce processus, compris par le cheval comme un système lié à des principes contraires, établit une communication directe et efficace. Peu à peu le langage s'enrichit alors de nuances tant au niveau de l'action des jambes que des mains.

Il va de soi que les effets de jambes, de mains ou de poids du corps se trouvent ramenés à leur plus simple expression.

Par l'atténuation du geste jusqu'à le rendre quasiment invisible, nous découvrons alors la réalité de la conscience du cheval qui sait lire nos intentions.

Nous apprenons alors que la vérité se trouve dans la communion des consciences, dans le silence du mental et dans la subtilité du geste.

Loin d’être un automate répondant mécaniquement à des signaux, le cheval est un partenaire actif. Les travaux en zoosémiotique, notamment ceux de Thomas Sebeok, montrent que les chevaux perçoivent et réagissent aux nuances des émotions et des intentions humaines. Le langage binaire, quelle que soit sa complexité, doit être conçu comme un outil pour dialoguer avec cette intelligence animale.

Le langage des aides de l'équitation de tradition française prend alors une nouvelle dimension. Sa richesse sémiotique associée au langage binaire cognitif permet alors de simplifier le geste tout en le rendant infiniment plus efficace par le renforcement cognitif du cheval.

La plus grande difficulté du cavalier réside dans la libération du cheval, dans l'abandon de l'exigence de soumission et dans l'apprentissage d'une coordination motrice dont la précision déterminera la subtilité du langage.

On parle souvent de la plus ou moins grande sensibilité des chevaux, alors que l'on devrait avant tout évoquer la finesse de langage des cavaliers.

Force est de constater que dans le langage de soumission on parle un idiome unilatéral pauvre et grossier alors que dans le langage binaire cognitif, on apprend à "philosopher" avec le cheval en captant son attention, son intérêt, sa confiance et son intelligence. Et cela change tout !

Si l’éducation du cheval doit tenir compte des exigences spécifiques de chaque discipline, en réalité il n'existe qu'un seul langage compréhensible par les chevaux mais qui peut se décliner au gré des utilisations.

Que ce soit pour le dressage, le saut ou l’attelage, le langage employé s'enrichira et s'adaptera à la finalité recherchée, sans jamais sacrifier le bien-être du cheval.

En combinant la profondeur et l’harmonie de l’équitation de tradition avec la clarté et l’accessibilité du langage binaire, il est possible de redéfinir la relation homme-cheval dans un cadre éthique et respectueux.

Lorsque l’on dépasse la simple domination pour entrer dans une relation de collaboration, le cheval devient un partenaire véritable. Il ne s’agit plus de le diriger unilatéralement, mais de construire avec lui un chemin d’évolution mutuelle, en respectant sa sensibilité et son intelligence.

Comme le souligne Nuno Oliveira, l’art équestre est avant tout un chemin d’introspection et de transformation intérieure. En favorisant une communication respectueuse et en libérant le cheval de toute contrainte matérielle, l’équitation devient une voie d’éveil à la fois pour le cavalier et pour sa monture.

L’équitation héritière de la tradition et enrichie par des avancées scientifiques contemporaines doit être avant tout un dialogue subtil entre deux intelligences. Libéré de ses contraintes, le cheval révèle son plein potentiel en tant que partenaire et non comme simple exécutant soumis par une volonté unilatérale. En alliant le raffinement de l’équitation classique à la méthodologie du langage binaire, cavaliers et chevaux peuvent co-créer une relation éthique et harmonieuse, transcendée par un échange d’intelligence à intelligence.

En récompense, les chevaux nous offrent une optimisation de leurs performances et de leur générosité.

Amis cavaliers, essayez !


Francis Stuck




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