Pourquoi l’équitation s'est-elle autant éloignée de l’enseignement classique ?
Au XIXᵉ siècle, Gustav Steinbrecht, maître incontesté de l’équitation classique, écrivait dans son célèbre ouvrage "Le Gymnase du cheval" que pour retrouver les allures naturelles d’un cheval tout en augmentant l’amplitude de ses foulées, il convenait de le faire travailler “en bas et rond”. Ce principe, pourtant ancré dans le respect des lois naturelles de la biomécanique équine, a été détourné au fil des décennies. Ce qui était une technique pour assouplir et développer le cheval sans contrainte excessive est devenu une justification pour des pratiques souvent contraires à l’essence même de l’équitation classique.
Le contexte a été oublié, et avec lui, l’esprit de cet enseignement. Ce glissement sémantique et pratique n’est pas nouveau. Comme le rapporte Erich Glahn dans son livre "Die Weltreiterei und wir" - 1957 (L’équitation mondiale et nous), des divergences par rapport à l’enseignement classique de l’équitation existaient déjà. Glahn mettait déjà en garde contre les enseignants et praticiens qui, portés par leur technicité et leur goût pour l’apparence, détournent les fondements classiques pour adopter des méthodes qui flattent l’œil sans respecter la nature profonde du cheval.
Glahn fustige ce qu’il appelle les “spécialistes de la piste”, des cavaliers et enseignants qui privilégient le spectaculaire au détriment du respect des lois naturelles de l’équilibre équin. Leur technicité, bien que souvent impressionnante, masque une méconnaissance fondamentale de la mécanique du cheval. Dans leur quête d’un contrôle absolu, ces spécialistes finissent par produire des chevaux tendus, crispés, dont les mouvements sont dénaturés.
Un exemple frappant de cette dérive fut incarné par Paul Plinzner, maître d’écurie de Guillaume II. Selon Glahn, Plinzner enseignait une exigence posturale inconditionnelle extrême, où les chevaux étaient systématiquement exagérément enroulés, le nez au sol, le dos figé et les muscles tendus en permanence. Les éperons, utilisés “en cadence”, provoquaient des blessures aux flancs, soignées par des glaçons dès le retour à l’écurie. Ce traitement, bien qu’il produisît des chevaux aux foulées spectaculaires, détruisait leur élasticité naturelle et leur capacité à se rassembler véritablement.
Pour Glahn, cette méthode illustre parfaitement la dérive de l’équitation de l’apparence. Ce qui semble impressionnant au spectateur non averti, des allures “cadencées” et une posture d'enroulement extrême, cache une profonde maltraitance et une méconnaissance des besoins physiques et psychologiques du cheval.
À l’opposé de ces dérives, l’équitation classique, telle que défendue par Steinbrecht et tous les Maîtres Ecuyers qui le précédaient, repose sur une compréhension profonde de l’équilibre naturel du cheval. L’objectif n’est pas d’imposer un cadre artificiel, mais de développer le cheval en respectant ses capacités physiques et mentales. Le travail “en bas et rond”, par exemple, vise à mobiliser le dos du cheval de manière souple, à renforcer sa musculature sans contrainte et à favoriser son équilibre naturel. Ce n’est pas une posture imposée, mais une dynamique fluide qui respecte le mouvement et l’esprit du cheval.
Malheureusement, comme le souligne Glahn, cet enseignement a souvent été mal compris ou délibérément déformé. Dans leur quête de performance ou de reconnaissance, certains enseignants et cavaliers ont privilégié des techniques spectaculaires qui compromettent le bien-être et la santé des chevaux.
Ainsi l’équitation s’est-elle éloignée de plus en plus de ses fondements classiques. Les pratiques modernes, influencées par la compétition et le spectacle, mettent souvent l’accent sur des performances qui flattent l’œil, mais ignorent les besoins fondamentaux du cheval. Le raccourci est tentant : des enrênements pour forcer le cheval à se mettre “en place”, des éperons et des mains rigides pour contraindre plutôt que guider.
Ces méthodes arbitraire proposant une pseudo efficacité illusoire à court terme, compromettent l’équilibre physique et mental du cheval. Elles transforment l’équitation en une démonstration de domination plutôt qu’en un dialogue harmonieux entre deux êtres intelligents. Elles font fi de l’essence même de l’art équestre, qui est d’élever le cheval et le cavalier dans une quête commune de légèreté, d’équilibre et de compréhension mutuelle.
Erich Glahn, déjà en 1957, lançait alors un avertissement clair : ne laissons pas l’équitation devenir une caricature d’elle-même. Aujourd’hui, cet appel résonne plus fort que jamais. Loin de réinventer l’équitation, nous devons revenir à ses fondamentaux, redécouvrir les enseignements classiques et les adapter aux besoins modernes sans en trahir l’esprit. Nous disposons d'un patrimoine extraordinaire par l'Equitation de Tradition Française.
Pour cela, il faut éveiller notre conscience, apprendre à voir au-delà des apparences et écouter les véritables besoins de nos chevaux. Cela implique de rejeter les méthodes qui flattent l’ego du cavalier par de pseudos performances assassines au détriment du cheval et de privilégier une approche qui respecte l’équilibre naturel et l’intelligence de l’animal.
La voie classique est une quête d’essence, pas d’apparence. Elle demande patience, humilité et une volonté sincère de comprendre et de respecter le cheval dans toute sa complexité. C’est un chemin exigeant, mais il est le seul qui mène à une véritable harmonie entre l’homme et l’animal.
Ne laissons pas l’équitation devenir un art perdu. Redécouvrons ses fondements, honorons son héritage et engageons-nous à pratiquer une équitation qui élève, plutôt qu’elle ne dégrade, l’âme et le corps du cheval. L’équitation classique n’est pas un souvenir d’un âge révolu. Associée aux nouvelles sciences de l'intelligence et de la cognition animale et du langage interespèces, elle est une promesse d’avenir.
Comprenne qui pourra.
Francis Stuck
Comments