Le cheval peut-il creuser le dos ?
Le dos du cheval se trouve au centre de sa locomotion, de son équilibre et de sa relation avec le cavalier. Lorsqu’un cheval “creuse” le dos, cela signifie que sa colonne vertébrale s’abaisse sous l’effet de forces extérieures ou d’une tension interne, entraînant un inconfort musculaire et un déséquilibre général. Ce phénomène, souvent perçu comme une simple réaction biomécanique, cache en réalité des dimensions complexes d’ordre physique, cognitif et émotionnel.
En mobilisant les principes du langage équestre cognitif et de l’équitation de pleine conscience, cette problématique peut être abordée avec plus de profondeur et d’efficacité. Enfin, dans une vision alchimique, la rectitude et l’harmonie du dos deviennent des métaphores de la quête d’équilibre entre les énergies corporelles et spirituelles.
Vu par l'angle biomécanique, le dos creusé représente la conséquence d’un déséquilibre postural qui peut être causé par :
• Une pression excessive du cavalier : un cavalier mal assis, trop lourd ou pratiquant des aides incohérentes peuvent exercer une contrainte sur le dos du cheval.
• Un manque d’engagement des postérieurs : l’énergie produite par les postérieurs ne compense pas le poids du cavalier dans le mouvement, ce qui empêche l’élévation naturelle du dos.
• Une selle mal adaptée, inappropriée peut comprimer le garrot et la colonne, obligeant le cheval à “se protéger” en creusant le dos.
• Le stress ou la douleur : un cheval anxieux ou douloureux peut se contracter, altèrant son fonctionnement musculaire.
Par conséquent, les muscles du dos travaillent alors de manière excessive pour compenser, provoquant ainsi des tensions.
Les articulations intervertébrales subissent des pressions anormales, pouvant entraîner des inflammations ou des blocages.
La communication avec le cavalier est alors perturbée, car le cheval n’est plus capable de se déplacer dans un cadre harmonieux. De surcroit, la douleur ressentie l'empêche de fixer son attention sur le langage émanant du cavalier.
Des chercheurs comme Hilary Clayton (The Dynamic Horse, 2004) ont démontré que le bon fonctionnement du dos est essentiel pour optimiser la locomotion et prévenir les blessures.
Mais attention, car d'une part le cheval n'est pas bâti comme un chat avec une ligne dorsale continue entre les vertèbres thoraciques et les vertèbres cervicales et d'autre part, le cheval, comme tous les mammifères dispose d'un système nerveux autonome, d'une oreille interne et de nombreux capteurs qui lui permettent de compenser de manière automatique les altérations d'équilibre et de charge autant dans la posture statique qu'en mouvement.
Le squelette du cheval est bâti comme une arche présentant une amplitude réduite entre le garrot et la base de la queue.
En observant le dos du cheval quelles que soient les disciplines, la partie qui porte le cavalier, entre le garrot et la base de la queue présente les mêmes caractéristiques qu'un "pont porteur" avec une capacité de fléchissement limité, contrairement au chat que nous évoquions précédemment qui sait faire le dos rond et l'articuler en tous sens.
De plus, le cheval n'a pas de clavicule, d'ou l'importance d'un travail qui lui permette l'engagement des postérieurs et la musculation de cette partie antérieure du dos.
A condition qu'il soit libre de ses mouvements, l'action compensatrice du système nerveux autonome permettra à n'importe quel cheval d'adapter sa posture au poids et aux mouvements du cavalier ainsi qu'aux allures et aux aspérités du terrain.
D'ou la question des enrênements et autres entraves qui sollicitent de manière excessive des efforts de compensation.
Beaucoup de problèmes de dos surviennent ainsi par un travail excessif avec des contraintes matérielles aliénantes qui engendrent une compensation qui finit par s'atténuer et créer des pathologies.
Essayez de courir avec tête bloquée vers le nombril, vous tirant en avant et avec un poids qui s'agite sur votre dos. En une séance, il est évident que vous souffrirez du dos.
Il en est de même pour les chevaux.
Bien évidemment, un travail trop précoce et trop dur sera néfaste pour le dos. Je me souviens d'un pur sang anglais de 10 ans qui n'avait jamais rien fait d'autre que de la promenade et présentait un ensellement important.
Sa cavalière était obèse et trop lourde pour lui. S'il a essayé de compenser au début, peu à peu, son dos s'est adapté et a commencé à s'affaisser.
De fait, attention aux types de mouvements demandés ainsi que leur fréquence et leur durée.
Les chevaux disposent d'une force compensatrice. Ceux à sang froid présentent de la force brute tandis que les chevaux à sang chaud compensent le déficit de force par de l'énergie.
D'où l'importance de libérer les chevaux afin de permettre à leurs système nerveux autonome de fonctionner sans entrave afin que les effets physiologiques et nerveux compensateurs puissent agir.
Rappelons que les chevaux ne sont pas masochistes et qu'ils ne vont pas chercher la douleur par eux-mêmes. Elle est toujours la conséquence d'un travail trop fort, trop long, entravé ou inadapté et donc d'un esprit cavalier analytique erroné.
Le langage équestre cognitif repose sur une communication claire et respectueuse avec un cheval libre de ses mouvements, où chaque demande est adaptée à ses capacités physiques et mentales. Cette méthode permet de rétablir un dos équilibré en travaillant sur la compréhension mutuelle.
En réalité, nous apprenons aux chevaux à porter leur cavalier.
C'est cela le dressage que je préfère appeler l'éducation posturale et physiologique tant à l'arrêt que dans les différentes allures.
Le langage équestre cognitif tient ainsi compte de ces paramètres liés à la nature du cheval dans toutes ses approches.
Alors oui, le cheval peut creuser le dos par effet de contraintes inadaptées et pathologiques liées à une équitation exclusivement mécaniste et de fait ignorante.
Un cheval libre adaptera sa posture et montrera au cavalier le bon chemin, celui qui correspond à ses spécificités physiologiques.
Car à l'instar des humains, tous les chevaux sont morphologiquement différents. S'il existe une ligne pédagogique directrice, elle doit être adaptée à chaque animal selon sa race, sa taille, la longueur de son dos et de son encolure, la forme de son encolure, la dimension de ses ganaches, son niveau de laxité articulaire, son âge, etc ...
L’équitation de pleine conscience induit tous ces éléments en permettant au cheval d'apporter une réponse libre à un langage bilatéral cognitif.
Elle implique que le cavalier soit entièrement présent et mutuellement collaboratif dans ses interactions avec le cheval, en harmonisant ses propres tensions et énergies avec celles de l’animal. Cette approche permet de détecter les signaux subtils qui précèdent un dos creusé et d’intervenir en douceur.
Un cavalier tendu ou déséquilibré transmet ses tensions au cheval, amplifiant le creusement du dos. Des exercices de respiration consciente, d’alignement postural et de relaxation musculaire sont essentiels.
L'observation absolue liée à un état de présence permet d'identifier immédiatement les moments où le cheval montre des signes de crispation ou de déséquilibre, comme une encolure rigide ou une impulsion insuffisante, pour ajuster immédiatement les demandes.
Dans une vision alchimique, le dos représente un axe central, la ligne du milieu autour de laquelle s’organisent les forces de transformation. Le dos incarne l’unité entre les opposés : la puissance brute des postérieurs et la légèreté de l’avant-main, la matérialité du corps et l’élan spirituel.
La colonne vertébrale est souvent comparée à l’Axis Mundi, l’axe du monde reliant le ciel et la terre. Un dos creusé symbolise une rupture de cet équilibre cosmique.
La rectitude du dos reflète la progression dans les phases alchimiques : le chaos initial (nigredo), la purification (albedo) et l’unité retrouvée (rubedo).
L’alchimie du mouvement équestre consiste à anticiper les erreurs qui signent par un dos creusé, désordonné, en une onde fluide et harmonieuse.
De fait, le cavalier doit être en accord avec les besoins physiques et émotionnels du cheval.
Il doit demeurer dans la quête de la rectitude . Rectifier le dos ne signifie pas imposer une posture artificielle mais retrouver un état naturel d’équilibre dynamique.
Le dos creusé constitue autant une question de biomécanique que de communication et de conscience. En mobilisant les principes du langage équestre cognitif, de l’équitation de pleine conscience associée à un langage équestre cognitif, il est possible de dépasser cette problématique de manière respectueuse et transformative.
Le cheval, loin d’être contraint, devient un partenaire actif dans ce processus, révélant sa propre intelligence et sa sensibilité.
Comme le disait Nuno Oliveira : “C’est l’intelligence et non la force qui fait la beauté d’une équitation parfaite.”
Francis Stuck
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