CHECK VS CLICKER : DEUX PHILOSOPHIES RELATIONNELLES RADICALEMENT DIFFÉRENTES
- Francis Stuck
- 5 oct.
- 6 min de lecture
Dans le monde de l'équitation consciente et cognitive, la question du renforcement positif est centrale.
Durant de nombreuses années d’expérimentation et de recherche sur le langage et la cognition équine, j’ai développé ce que j’appelle le « Check », un toucher à intention, à intensité et à portée variable. Je le développe largement dans mon livre « Les fondations de la relation homme-cheval ».
Si le clicker et le check appartiennent tous deux à cette famille du R+, ils incarnent deux visions profondément distinctes de la relation homme-cheval. Je vous propose cet article pour explorer ces différences et expliquer pourquoi le check s'inscrit dans une approche plus holistique de la communication interspécifique.
Le « clicker » est ce qu’on appelle en psychologie comportementale un « renforçateur secondaire ou conditionné ».
Il n’a au départ, aucune signification pour l’animal. C’est le dresseur qui lui donne un sens en le faisant précéder immédiatement d’une récompense primaire (alimentaire).
Ce processus s’appuie sur le principe du conditionnement « pavlovien » :
Clic = Nourriture = Plaisir
Après plusieurs répétitions, le cerveau de l’animal associe le clic à la récompense.
Le clic devient alors un signal prévisible de satisfaction car il active les circuits produisant de la dopamine, l’hormone du plaisir avant même la friandise.
Le clicker est un outil de conditionnement classique issu des travaux de Skinner sur le conditionnement opérant.
Parmi ses avantages, nous pouvons noter une réelle précision temporelle du marqueur (le son est instantané), une clarté du signal pour l'animal et une efficacité mesurable dans l'apprentissage de comportements spécifiques.
Une fois que le clic est solidement associé à la récompense, le clicker devient un renforçateur autonome.
On peut cliquer pour marquer avec une précision temporelle millimétrée le comportement exact que l’on veut renforcer, puis donner la friandise juste après.
Mais attention, car en cessant d’accompagner le clic par une récompense, il perd progressivement sa valeur. Le cerveau de l’animal désapprend alors l’association.
De fait, le clicker présente plusieurs limitations dans une perspective de relation consciente car le système crée une motivation extrinsèque associé à la nourriture, plutôt qu'une collaboration volontaire fondée sur la relation et la grégarité naturelle du cheval.
Le clicker entraîne des comportements précis mais ne développe pas nécessairement la compréhension globale ni l'intelligence relationnelle et cognitive du cheval.
Le signal sonore est neutre par nature et il ne transmet ni affection, ni émotion, ni présence consciente, ni lien grégaire.
De surcroit, l'interruption liée à la distribution de la friandise, même très brève, brise la fluidité et la continuité de l’exercice.
Le check s'inscrit dans une toute autre logique, celle du langage binaire équestre et de la communication interspécifique consciente. Je l’ai développé sur la base de l’observation des interactions de communication des individus au sein du troupeau et mise en perspective avec mes expériences sur les capacités cognitives des chevaux.
Il se caractérise par :
Un toucher bref et ciblé effectué avec le dos de l'index et du majeur joints
Une intensité variable selon l’intention qui y est liée
Des localisations précises, au bout du nez, sur l’encolure, à côté du garrot (en selle)
Pendant le travail, il s'intègre dans l'exercice sans l'interrompre
Il est associé à une “présence consciente” car l'état interne du cavalier est fondamental pour contrôler la résonance émotionnelle
Le check a plusieurs fonctions :
Validation cognitive (check doux), comme un « mot » dans le dialogue : « Oui, c'est exactement ce que je demandais. »
Rappel attentionnel (check tonique sur l'encolure) : il ramène l'attention du cheval au moment présent et à la demande du référent.
Maintien du lien grégaire, car quelle que soit la situation il signifie : « Tu fais partie de la famille, je t'aime. »
Ce dernier point est crucial : le check dit toujours, en filigrane, « tu appartiens au troupeau », que le comportement soit réussi ou non. Car tout comme les humains, les chevaux préfèrent se sentir aimés que de recevoir une friandise en récompense d’une action.
Au niveau neuroscientifique, le check active des circuits cérébraux différents du clicker :
Stimulation du cortex cognitif : traitement de l'information relationnelle
Activation du système limbique : dimension émotionnelle et affiliative
Potentialisation des neurones miroirs : synchronisation et empathie interspécifique
Renforcement de la résonance émotionnelle : partage d'états internes
Ses avantages dans une approche de pleine conscience :
Continuité de l'exercice : pas d'interruption, car le check ponctue sans rompre le flux communicationnel et pédagogique.
Potentialisation de la grégarité : le toucher renforce le lien social naturel du cheval, son besoin d'appartenance au groupe.
Communication subtile et nuancée : le check peut varier en intensité, localisation et intention, créant un véritable vocabulaire tactile. Il se pratique autant au travail à pied au sol qu’en selle jusqu’au plus haut niveau. Très vite, le cheval associe et comprend les nuances. N’oublions pas qu’un cheval perçoit une mouche posée sur sa croupe.
Développement de l'adhésion volontaire : le cheval collabore par désir relationnel, pas par appât du gain alimentaire. Les chevaux montrent par ailleurs de réelles curiosités cognitives et pédagogiques.
Transmission de la présence consciente : le check n'est efficace que si le cavalier est dans un état de conscience adapté : présent, centré, intentionnel.
SYNTHÈSE COMPARATIVE
Nature du renforcement
Clicker : Extrinsèque (nourriture), universel, standardisé
Check : Intrinsèque (relation), émotionnel, grégarité, individualisé, contextuel
Type de motivation générée
Clicker : « Je fais pour obtenir »
Check : « Je fais pour partager »
Dimension temporelle
Clicker : Séquence discontinue (comportement → clic → arrêt → friandise)
Check : Intégration fluide (comportement → check → continuité)
Niveau de conscience requis
Clicker : Technique (précision du timing)
Check : Holistique (présence, intention, résonance émotionnelle)
Développement relationnel
Clicker : Limité (le cheval s'attache au système)
Check : Central (le cheval s'attache à l'humain)
Transférabilité
Clicker : Nécessite l'outil et les friandises
Check : Disponible en toute circonstance (main du cavalier)
Alors check et clicker sont-ils compatibles ou contradictoires ?
Il est techniquement possible de combiner les deux approches, mais cela pose une question philosophique fondamentale : quel type de relation souhaitons-nous construire avec le cheval ?
C’est une question de choix de paradigme, car le clicker appartient au système béhavioriste qui considère l'animal comme un système stimulus-réponse à optimiser.
Le check s'inscrit dans le paradigme cognitif et relationnel qui associe le cheval à un être conscient avec lequel nous co-construisons une relation intelligente et un langage cognitif commun.
Gare aux confusions, car associer systématiquement le check à une friandise (comme on le ferait avec le clicker) dilue sa valeur relationnelle et le ramène à un simple marqueur comportemental.
Dans certains cas très spécifiques notamment avec des chevaux « ultra mécanisés », le clicker peut constituer une étape transitoire avant d'évoluer vers une communication plus subtile via le check.
En conclusion, j’ai observé avec tous les chevaux que :
Ceux qui connaissent le « check » développent une attention relationnelle plus soutenue. Durant les leçons, il n’est pas rare que le cheval vienne lui-même « chercher » un check pour d’une part confirmer le lien de grégarité et d’autre part confirmer la justesse de l’exercice en cours. Tous mes élèves peuvent attester de cela.
Ils manifestent davantage de comportements de recherche de contact avec l'humain
Leur motivation intrinsèque reste stable même en l'absence de récompense alimentaire. Ils dissocient progressivement l’alimentation et le principe de récompense. La potentialisation cognitive se fait alors par la grégarité et les charges émotionnelles positives qui y sont associées.
La synchronisation cavalier-cheval s'affine naturellement
Les apprentissages se potentialisent car le cheval comprend les principes et pas uniquement les exercices. Il devient plus intelligent.
En conclusion, les différences entre les deux modes de R+ vont bien au-delà de la technique, ils s’inscrivent dans un choix de philosophie relationnelle équestre.
Le débat entre check et clicker dépasse largement la question de l'efficacité technique du renforcement positif. Il interroge notre conception même de la relation homme-cheval et les fondements éthiques de nos pratiques équestres.
Le clicker répond à la question : Comment obtenir un comportement précis de manière fiable ?
Le check répond à la question : Comment construire un dialogue conscient et une alliance volontaire pour ouvrir un chemin d’évolution illimitée ?
Dans le langage équestre cognitif, nous faisons le choix de la seconde voie : celle qui replace la conscience, la grégarité et l'intelligence relationnelle au cœur de la pratique équestre.
Car si les deux approches appartiennent au renforcement positif, le check nourrit l'âme de la relation là où le clicker entraîne la mécanique du comportement.
À vous de choisir quel type de partenariat vous souhaitez tisser avec votre cheval : une coopération technique fondée sur l'intérêt alimentaire, ou une alliance consciente fondée sur la résonance émotionnelle et la grégarité partagée.
Je vous invite à découvrir les subtilités de cette philosophie équestre dans mon livre :
ou de manière pratique en suivant la formation en ligne en langage équestre cognitif et en équitation de pleine conscience.
Francis STUCK

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