LE RASSEMBLER
Le rassembler occupe une place centrale dans l’art équestre. Objet de fascination autant que de débats, il transcende les techniques et se rapproche d’une quête, presque spirituelle, d’harmonie entre le cavalier et sa monture. Les visions variées qui l’entourent, symbolique, historique, alchimique, philosophique, neuroscientifique, biomécanique ou encore celles liées à une équitation cognitive ou de pleine conscience, soulignent sa complexité et sa richesse.
Dans la symbolique équestre, le rassembler reflète l’union intime entre forces opposées : énergie et calme, impulsion et retenue. Il incarne une image d’unité, souvent associée à la maîtrise intérieure. François Baucher évoquait le “rassemblé comme le sommet du dressage”, où la tension créatrice entre le cavalier et le cheval atteint une harmonie parfaite. Dans le prolongement de cette pensée, le cheval met alors toutes ses forces et son énergie au service du cavalier. Cette représentation s’inscrit dans une quête universelle de fusion, où la domination s’efface au profit d’un dialogue subtil.
Les écuyers de l’École de Versailles, tels que La Guérinière ou Pluvinel, décrivaient le rassembler comme une élévation de l’art équestre, recherchant un équilibre marqué par l’assiette profonde du cheval. L’utilisation des piliers, encore pratiquée à l’École Espagnole de Vienne ou à l'Ecole Portugaise d'Art Equestre, servait à développer une assise presque sculpturale, valorisant un centre de gravité abaissé et une propulsion contrôlée. Le général L’Hotte résumait cette tradition en affirmant que « l’ordre, le calme et la droite ligne » formaient les piliers essentiels du rassembler.
Dans une perspective alchimique, le rassembler s’apparente à une transformation subtile des énergies brutes en mouvement pur et raffiné. Les écrits de Nuno Oliveira suggèrent cette dimension lorsqu’il parle de « danser avec son cheval » : une métaphore d’une élévation du geste équestre à une forme d’art. Cette métamorphose repose sur la transmutation de la force en légèreté, de l’instinct en maîtrise.
La philosophie équestre inscrit le rassembler dans une réflexion sur l’équilibre, non seulement physique mais aussi mental et émotionnel. Le colonel Danloux, dans ses ouvrages, mettait en avant une idée essentielle : « Le cheval rassemblé reflète la pensée ordonnée du cavalier. » Ainsi, la précision du geste, la délicatesse des aides et l’absence de coercition traduisent une philosophie de l’harmonie, où la puissance devient grâce.
Les études récentes en neurosciences et zoosémiotique offrent une nouvelle compréhension du rassembler, notamment à travers l’analyse de la communication entre cavalier et cheval. Le langage subtil active des zones spécifiques du cerveau équin, favorisant des réponses ajustées. Les travaux de Konstanze Krüger sur la cognition équine montrent que le rassembler engage une communication cognitive avancée, où le cheval anticipe les intentions à travers un langage zoosémiotique subtil.
Sous l’angle biomécanique, le rassembler mobilise un équilibre optimal des chaînes musculaires. L’engagement des postérieurs, décrit avec précision par le colonel Jousseaume, repose sur une propulsion ascendante combinée à une retenue contrôlée par le cavalier. Les analyses de Jean-Marie Denoix, spécialiste en biomécanique équine, montrent que ce travail favorise une symétrie musculaire et un renforcement des muscles profonds.
L’équitation de pleine conscience, popularisée par des auteurs comme Linda Kohanov, met en lumière l’importance d’une connexion profonde et intuitive avec le cheval. Le rassembler devient ici une métaphore d’un alignement intérieur. Sans tension ni force, le cavalier apprend à ressentir, à écouter et à répondre avec délicatesse, dans une quête d’équilibre intérieur reflété par le cheval.
Aussi, le rassembler ne se réduit jamais à une simple méthode. Il représente un état, une quête d’harmonie où le geste parfait découle d’un dialogue intime entre deux êtres vivants. Qu’il s’agisse d’un équilibre symbolique, historique, alchimique ou biomécanique, chaque vision enrichit notre compréhension de cet art, ultime expression de l’équitation. Ainsi, il rappelle une vérité essentielle : dans l’acte équestre, la technique n’a de valeur que lorsqu’elle s’efface au profit d’une communion profonde entre le cavalier et sa monture.
Comprenne qui pourra.
Francis Stuck
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